Il y a deux jours, elle lui allait comme un gant. Le latex moulait ses hanches, s’insinuait entre ses fesses rebondies, et enserrait sa taille fine. Le miroir lui avait renvoyé l’image d’une bombe. Et l’homme qui avait glissé un œil dans la fente du rideau mal tiré de la cabine d’essayage, avait semblé apprécier la furtive apparition. Une cuisse de canard à la peau craquante avec ses pommes de terre grenaille, une raclette et quelques galettes bretonnes au beurre salé, plus tard, la lingerie sexy n’était plus qu’une grosse culotte remontant jusqu’au nombril sur un ventre mou.
La main de Christophe criait le contraire. Assis au bar, il l’avait posée sur son genou et bougeait légèrement les doigts, comme par inadvertance. Un rencard sous la pompe à bière. Mieux. Une vraie rencontre, à l’ancienne, au hasard, entre deux regards. Avant, Anna aurait feint l ‘indifférence et détourné les yeux. Mais c’était avant le Covid et encore bien avant les sites de rencontres, les réseaux sociaux, la drague virtuelle, l’absence hurlante d’un truc du siècle dernier appelé flirt.
Ce soir-là, Anna avait éteint son portable. Sous la douche, elle avait savonné ses seins, ses cuisses, son ventre. Puis résisté à l’envie de se caresser. Elle en avait aussi assez de rentrer chez elle après une sortie entre copains et de draguer sur le Web depuis le fond de son lit.
Cette fois, elle revenait aux classiques et au culot. Elle a passé une robe noire qui appelait la caresse. Des bottines pour calmer le jeu. Et un manteau rassurant pour franchir la porte du pub. Seule. Sans bande. Il était 21 h, la musique et la chaleur la happèrent dès l’entrée. Anna se fraya un chemin jusqu’au tabouret vacant, dans une confortable indifférence, protégée par la petite foule qui se bousculait déjà devant la minuscule scène. Jersey Julie y donnait de sa voix rauque et sensuelle. Anna avait choisi cette date à cause du concert. Non seulement parce qu’elle aimait cette chanteuse mais surtout pour avoir une contenance. Cette fille esseulée, dans son coin, venait pour la musique. Pas pour lever un mec, surtout le mauvais, à la Diane Keaton. Mais contrairement aux pubs américains, sombres même en pleine journée, les Monsieur Goodbar, coudes vissés devant leur verre de bourbon, se faisaient rares.
Il l’avait repérée, dès son arrivée. Ni super belle, ni moche. Pas de celle sur qui on se retourne dans la rue. Il a cru au départ qu’elle rejoignait des amis. Quand elle s’est hissée sur son tabouret, il a entrevu la dentelle d’un bas, sous sa robe un peu courte. Gonflée la nana. Ça lui a plu tout de suite. Elle buvait sa pinte tranquillement. Et chose extrêmement séduisante, n’avait pas une seule fois sorti son téléphone portable de son sac. Elle écoutait le groupe, sereine, en apparence du moins. Christophe n’en pouvait plus des déprimées qui flippaient dès la cinquantaine naissante. Il avait envie de leur hurler « mais arrête de geindre. Quand tu auras 80 piges et que tu te retourneras sur ta vie, tu t’en mordras les doigts d’avoir perdu tant de temps à ne pas t’aimer. Surtout si tu regardes tes photos et que tu réalises, un peu trop tard, que t’étais pas mal du tout ».
Oui, cette fille-là lui plaisait bien. Quant à l’aborder… Dans le temps, même s’il n’était pas un vieux barbon, il n’était pas un jeune premier non plus – il suffisait de se balancer dans une soirée, d’inviter une fille à danser, de se faire envoyer sur les roses, d’essayer avec la copine et d’emballer sans état d’âme, sans se poser de question. Aujourd’hui, dès qu’il approchait une femme, il avait peur de lire dans son regard au mieux « harceleur », au pire « prédateur sexuel, casse-toi ». Alors il s’abstenait.
« Il m’a souri. Il l’air sympa et plutôt mignon aussi. Je lui ai rendu son sourire. Il a levé son verre vers moi. Je suis déjà un peu pompette comme disait ma tante Julienne. Il s’approche. Ok pour un demi. Il a fait le premier pas. Pas question de le rembarrer, ma fille. Sinon, fallait rester chez toi ».
« Elle accepte mon invitation. Ça a l’air de nous étonner tous les deux. C’est donc si simple ? Ben oui les gars, osons. Je la trouve, j’avoue, très sexy. Mon genou touche le sien, elle ne le retire pas. »
« Son genou contre le mien m’a fait l’effet d’une décharge électrique. J’ai l’alcool sensuel. Et j’e n’ai jamais boudé mon plaisir. Je me fiche d’être cataloguée facile. J’ai envie, je fonce. On n’a qu’une vie et une période quand même limitée de sex-appeal Même si je compte bien devenir une vieille dame très indigne. «
On a bavardé. Il était avocat, fan de brocante et de vieilles bagnoles. Dans la vraie vie, on pouvait donc rencontrer des types avec des métiers normaux ? J’avais eu mon lot de boulets et de sans le sou. Quand un groupe de jeunes nous a bousculés, sa main, qui me frôlait, a glissé dans le creux de ma jambe nue, entre le bas et la culotte. Nous l’y avons laissée. Protégés par les fêtards, il m’a caressée, a attendu mon approbation. J’ai resserrée les jambes en emprisonnant ses doigts. Il a senti mon désir, et m ‘a massée doucement, voluptueusement. Je pense que notre voisin s’est aperçu de notre manège. Je me fichais à ce moment-là d’être matée. Je crois même que ça m’a plu.
Anna et Christophe ont couché ensemble cette nuit-là. Et bien d’autres nuits encore. Avant de se séparer sans heurt. « Tu sais ce qui m’a plu, chez toi ? C’est ton cran. Et puis, tu avais la plus belle culotte du monde ».
